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Comment penser par soi-même (Paul Graham)

Ceci est la traduction d’un article que j’ai trouvé intéressant, écrit par Paul Graham (Qui est-ce ?)
Pour bien comprendre le contexte de cet article, il est intéressant de savoir que l’auteur, né en 1964, est informaticien (Lisp !) et artiste de formation, qu’il a fondé le tout premier premier site permettant de créer des sites internet en 1995, et qu’il évolue actuellement dans le monde des VC au sein de YCombinator (Coinbase, Airbnb, Reddit, Stripe, OpenSea, Fivetran, etc.). Il est donc constamment au contact de nouvelles idées, et à la recherche des “meilleures”.
L’article est très dense en information, et plutôt compact, ce qui peut donner l’impression d’une ton abrupte lorsqu’on le traduit en français en essayant d’en altérer le contenu au minimum.
Voici l’original, dont je recommande la lecture, ainsi que l’ensemble des articles du blog http://www.paulgraham.com 😉

Il y a certains types de tâches qu’on ne peut pas bien faire sans penser différemment de ses pairs. Pour être un bon scientifique, par exemple, il ne suffit pas d’avoir raison. Vos idées doivent être à la fois correctes et originales. Vous ne pouvez pas publier des articles disant des choses que les autres savent déjà. Vous devez dire des choses que personne d’autre n’a encore découvert.

Il en est de même pour les activités d’investissement. Il ne suffit pas à un investisseur sur les marchés de prédire correctement comment une entreprise se comportera. Si beaucoup d’autres personnes ont fait la même prédiction, le cours de l’action le reflétera déjà et il n’y aura pas de possibilité de profit. Les seules informations utiles sont celles que la plupart des autres investisseurs ne partagent pas.

Vous voyez aussi ce modèle avec les fondateurs de startups. Il ne faut pas créer une startup dont la proposition est considérée par tout le monde comme étant une bonne idée, ou alors il y aurait déjà d’autres entreprises qui le font. Vous devez faire quelque chose qui semble être une mauvaise idée pour la plupart des autres personnes, mais dont vous savez que ce n’est pas le cas - comme écrire un logiciel pour un petit ordinateur utilisé par quelques milliers de passionnés, ou démarrer un site pour permettre aux gens de louer un lit chez des inconnus.

Idem pour les auteurs. Un écrit qui disait aux gens des choses qu’ils savaient déjà serait ennuyeux. Vous devez leur dire quelque chose de nouveau.

Mais ce modèle n’est pas universel. En fait, cela ne vaut pas pour la plupart des métiers. Dans la plupart des métiers - pour être administrateur, par exemple - tout ce dont vous avez besoin est la première moitié. Tout ce dont vous avez besoin est d’avoir raison. Il n’est pas essentiel que les autres se trompent.

Il y a de la place pour un peu de nouveauté dans la plupart des types de métiers, mais dans la pratique, il existe une distinction assez nette entre les métiers où il est essentiel d’être indépendant d’esprit et celles où ce n’est pas le cas.

J’aurais aimé que quelqu’un m’ait parlé de cette distinction quand j’étais enfant, car c’est l’une des choses les plus importantes à laquelle il faut penser lorsque vous décidez du type de travail que vous voulez faire. Voulez-vous faire le genre de métier où vous ne pouvez gagner qu’en pensant différemment des autres ? Quelque chose me dit que l’inconscient de la plupart des gens répondra à cette question avant que leur esprit conscient n’en ait l’occasion. Je peux dire que c’est mon cas.

L’indépendance d’esprit semble être plus une question de nature que d’éducation. Ce qui signifie que si vous choisissez le mauvais type de métier, vous allez être malheureux. Si vous êtes naturellement indépendant d’esprit, vous allez trouver frustrant d’être un middle manager. Et si vous êtes naturellement d’esprit conventionnel, vous allez vous retrouver à nager contre courant si vous essayez de faire des recherches originales.

Une difficulté ici, cependant, est que les gens se trompent souvent concernant leur position sur le spectre qui va de l’esprit conventionnel à l’esprit indépendant. Les personnes conventionnelles n’aiment pas se considérer comme conventionnelles. Et dans tous les cas, ils ont authentiquement l’impression de se faire leur propre opinion sur toutes choses. Ce n’est que coïncidence si leurs croyances sont identiques à celles de leurs pairs. Et les esprits indépendants, quant à eux, ignorent souvent à quel point leurs idées sont différentes des idées conventionnelles, du moins jusqu’à ce qu’ils les partagent avec le public. [ 1 ]

Au moment où ils atteignent l’âge adulte, la plupart des gens savent à peu près à quel point ils sont intelligents (au sens étroit de la capacité à résoudre des problèmes prédéfinis), car ils sont constamment testés et classés en fonction de cela. Mais les écoles ignorent généralement l’indépendance d’esprit, sauf peut-être pour tenter de la supprimer. Nous n’avons donc pas le même genre de retours sur notre indépendance d’esprit, nous permettant de nous positionner et de nous connaître là-dessus.

Il peut même y avoir un phénomène de type Dunning-Kruger au travail, où les personnes les plus conventionnelles sont convaincues qu’elles sont indépendantes d’esprit, tandis que les personnes véritablement indépendantes craignent de ne pas être suffisamment indépendantes.


Pouvez-vous vous rendre plus indépendant d’esprit? Je le pense. Cette qualité peut être en grande partie innée (ou en tout cas acquise très tôt), mais il semble y avoir des moyens de l’amplifier, ou du moins de ne pas la supprimer.

L’une des techniques les plus efficaces est celle pratiquée involontairement par la plupart des geeks : simplement d’être moins au courant de ce que sont les croyances conventionnelles. Il est difficile d’être conformiste si vous ne savez pas à quoi vous êtes censé vous conformer. Encore une fois, il se peut que ces personnes soient déjà indépendantes d’esprit. Une personne à l’esprit conventionnel se sentirait probablement anxieuse de ne pas savoir ce que les autres pensent et ferait plus d’efforts pour le découvrir.

L’entourage est ensuite très important. Si vous êtes entouré de personnes à l’esprit conventionnel, cela limitera les idées que vous pouvez exprimer, et cela à son tour limitera les idées que vous avez. Mais si vous vous entourez de personnes indépendantes d’esprit, vous ferez l’expérience inverse : entendre d’autres personnes dire des choses surprenantes vous encourage à le faire et à y penser davantage.

Parce que les esprits indépendants se sentent mal à l’aise lorsqu’ils sont entourés de personnes à l’esprit conventionnel, ils ont tendance à s’isoler dès qu’ils en ont l’occasion. Le problème avec le lycée, c’est que la question ne se pose pas encore. De plus, le lycée a tendance à être un petit monde replié sur lui-même dont les habitants manquent de confiance en eux, ce qui amplifie les forces du conformisme. Et donc le lycée est souvent un mauvais moment à passer pour les esprits indépendants. Mais il y a même ici un avantage : cela vous apprend ce qu’il faut éviter. Si vous vous retrouvez plus tard dans une situation qui vous fait dire « tiens ça me rappelle le lycée », vous savez qu’il est temps de s’éclipser. [ 2 ]

Un autre endroit où les esprits indépendants et conventionnels sont réunis est dans les startups à succès. Les fondateurs et les premiers employés sont presque toujours indépendants d’esprit ; autrement le lancement ne réussirait pas. Mais les gens à l’esprit conventionnel sont beaucoup plus nombreux que ceux à l’esprit indépendant, donc à mesure que l’entreprise se développe, l’indépendance d’esprit des débuts est inévitablement diluée. Cela provoque toutes sortes de problèmes en plus du problème évident que l’entreprise commence à décliner. Une chose étrange est que les fondateurs commencent à se sentir plus à l’aise en discutant avec les fondateurs d’autres entreprises qu’avec leurs propres employés. [ 3 ]

Heureusement, vous n’êtes pas obligé de passer tout votre temps avec des personnes indépendantes. Il suffit d’en avoir une ou deux avec qui parler régulièrement. Et une fois que vous les avez trouvées, elles sont généralement aussi désireuses de parler que vous ; elles ont besoin de vous aussi. Bien que l’éducation supérieure n’ait plus le monopole qu’elle avait sur l’éducation, les bonnes écoles et universités restent un excellent moyen de rencontrer des personnes indépendantes. La plupart des étudiants auront toujours l’esprit conventionnel, mais vous trouverez au moins des groupes d’étudiants indépendants, plutôt que le quasi-zéro que vous avez peut-être vécu au lycée.

Ça fonctionne aussi dans l’autre sens : en plus de cultiver un petit groupe d’amis indépendants, essayer de rencontrer autant de types de personnes différents que possible. Si vous fréquentez plusieurs groupes de pairs, cela diminuera l’influence de vos pairs immédiats (entourage immédiat). De plus, si vous faites partie de plusieurs mondes différents, vous pourrez souvent importer des idées de l’un à l’autre.

Mais par différents types de personnes, je ne veux pas dire démographiquement différent. Pour que cette technique fonctionne, ils doivent penser différemment. Ainsi, même si c’est une excellente idée d’aller visiter d’autres pays, vous pouvez probablement trouver des gens qui pensent différemment au coin de la rue. Quand je rencontre quelqu’un qui en sait beaucoup sur quelque chose d’inhabituel (ce qui inclut pratiquement tout le monde, si vous creusez suffisamment), j’essaie d’apprendre ce qu’il sait que les autres ne savent pas. Il y a presque toujours des surprises à trouver. C’est un bon moyen de faire la conversation lorsque vous rencontrez des inconnus, mais je ne le fais pas juste pour papoter. Je veux vraiment savoir.

Vous pouvez étendre la source de vos influences dans le temps ainsi que dans l’espace, en lisant l’histoire. Quand je lis l’histoire, je ne le fais pas seulement pour apprendre ce qui s’est passé, mais pour essayer de pénétrer dans la tête des gens qui ont vécu dans le passé. Comment les choses leur paraissaient-elles à l’époque ? C’est difficile à faire, mais cela en vaut la peine pour la même raison que cela vaut la peine de voyager loin pour trianguler un point.

Vous pouvez également prendre des mesures plus explicites pour vous empêcher d’adopter automatiquement des opinions conventionnelles. Le plus simple est de cultiver une attitude sceptique. Lorsque vous entendez quelqu’un dire quelque chose, arrêtez-vous et demandez-vous « Est-ce vrai ? » Ne le dites pas à voix haute. Pas question d’imposer à tous ceux qui vous parlent le fardeau de prouver constamment ce qu’ils disent, mais plutôt que vous preniez sur vous le fardeau d’évaluer ce qu’ils avancent.

Approchez la chose comme un casse-tête. Vous savez que certaines idées admises aujourd’hui se révéleront plus tard erronées. Voyez si vous pouvez deviner lesquelles. Le but final n’est pas de trouver des défauts dans les choses qu’on vous dit, mais de trouver les nouvelles idées qui avaient été cachées par les idées trompeuses. Ce jeu doit donc être une quête passionnante de nouveauté, pas un protocole ennuyeux d’hygiène intellectuelle. Et vous serez surpris, lorsque vous commencerez à demander « Est-ce vrai ? », combien de fois la réponse n’est pas un oui immédiat. Si vous avez de l’imagination, vous avez plus de chances de trouver trop de pistes à suivre que trop peu.

Plus généralement, votre objectif devrait être de ne rien laisser entrer dans votre tête sans examen, et les choses ne vous entrent pas toujours dans la tête sous forme de déclarations. Certaines des influences les plus puissantes sont implicites. Comment les déceler ? En prenant du recul et en observant comment les autres forment leurs idées.

Lorsque vous vous tenez à une distance suffisante, vous pouvez voir des idées se propager à travers des groupes de personnes comme des vagues. Les plus évidentes sont dans la mode : vous remarquez que quelques personnes portent un certain type de chemise, puis de plus en plus, jusqu’à ce que la moitié des personnes autour de vous portent la même chemise. Vous ne vous souciez peut-être pas beaucoup de ce que vous portez et de la mode du moment, mais il existe aussi des modes intellectuelles et vous ne voulez certainement pas y participer. Pas seulement parce que vous voulez la souveraineté sur vos propres pensées, mais parce que les idées qui ne sont pas à la mode du moment sont fortement susceptibles de mener à quelque chose d’intéressant. Le meilleur endroit pour trouver des idées non découvertes est là où personne d’autre ne regarde. [ 4 ]


Pour aller au-delà de ce conseil d’ordre très général, nous devons examiner la structure interne de l’indépendance d’esprit – les muscles individuels que nous devons exercer, pour ainsi dire. Il me semble qu’il a trois composantes : la minutie à propos de la vérité, la résistance à ce qu’on lui dise quoi penser et la curiosité.

Être méticuleux à propos de la vérité signifie plus que simplement ne pas croire des choses fausses. Cela signifie faire attention au degré de croyance. Pour la plupart des gens, le degré de croyance est souvent dans les extrêmes : l’improbable devient impossible et le probable devient certain. [ 5 ]Pour les esprits indépendants, cela semble impardonnablement bâclé. Ils sont ouverts à tout, des hypothèses hautement spéculatives aux tautologies (apparentes), mais concernant les sujets qui les intéressent véritablement, tout doit être étiqueté avec un degré de croyance soigneusement réfléchi. [ 6 ]

Les esprits indépendants ont donc en horreur les idéologies, qui obligent à accepter en une fois un lot indivisible de croyances, et à les considérer toutes comme des vérités indiscutables. Pour une personne à l’esprit indépendant, cela semble scandaleux. Il en va de même pour un fin gourmet à qui l’on proposerait de croquer dans un sandwich rempli d’une grande variété d’ingrédients d’âges et de provenances totalement indéterminées.

Sans cette minutie à propos de la vérité, vous ne pouvez pas être vraiment indépendant d’esprit. Il ne suffit pas d’être capable de résister à se faire dire quoi penser. Ce genre de personnes rejette les idées conventionnelles uniquement pour les remplacer par les théories du complot les plus aléatoires. Et comme ces théories du complot ont souvent été fabriquées précisément pour les emprisonner, ces gens finissent par être moins indépendants d’esprit que les gens ordinaires, car ils sont soumis à un maître beaucoup plus exigeant que la simple convention. [ 7 ]

Pouvez-vous augmenter votre méticulosité à propos de la vérité ? Je dirais que oui. D’après mon expérience, le simple fait de penser à quelque chose sur lequel vous êtes exigeant accroît cette méticulosité. Si c’est le cas, c’est l’une de ces rares vertus que nous pouvons étendre par le simple pouvoir de la volonté. Et si c’est comme d’autres formes de méticulosité, il doit être possible de l’encourager chez les enfants. J’en ai certainement reçu une forte dose de mon père. [ 8 ]

La deuxième composante de l’indépendance d’esprit, la résistance à se faire dire quoi penser, est la plus visible des trois. Mais même cela est souvent mal compris. La grande erreur que les gens font à ce sujet est de le considérer comme une qualité purement négative. Le langage que nous utilisons renforce cette idée. Vous êtes anto-conventionnel. Vous ne faites pas attention à ce que les autres pensent. Mais ce n’est pas seulement une forme d’immunité. Chez les personnes les plus indépendantes d’esprit, le désir de ne pas se faire dire quoi penser est une force positive. Ces personnes ne sont pas simplement sceptiques, elles trouvent du plaisir (au sens actif du terme) dans des idées qui défient la sagesse conventionnelle, plus c’est contre-intuitif, mieux c’est.

Certaines des idées les plus novatrices ressemblaient à des blagues au tout début. Pensez à la fréquence à laquelle votre réaction à une idée nouvelle est le rire. Je ne pense pas que ce soit parce que les idées nouvelles sont drôles en soi, mais parce que la nouveauté et l’humour partagent un côté surprenant. Mais bien qu’ils ne soient pas identiques, les deux sont suffisamment proches pour qu’il y ait une corrélation précise entre avoir un sens de l’humour et être indépendant d’esprit - tout comme il y en a une entre être sans humour et être d’esprit conventionnel. [ 9 ]

Je ne pense pas que nous puissions augmenter de manière significative notre résistance à se faire dire quoi penser. Il semble le plus inné des trois composants de l’indépendance d’esprit ; les personnes qui ont cette qualité à l’âge adulte en ont généralement montré des signes très visibles dans leur enfance. Mais si nous ne pouvons pas augmenter notre résistance à ce qu’on nous dise quoi penser, nous pouvons au moins la consolider, en nous entourant d’autres personnes indépendantes d’esprit.

La troisième composante de l’indépendance d’esprit, la curiosité, est peut-être la plus intéressante des trois. A supposer que l’on puisse donner une réponse brève à la question de savoir d’où viennent les idées nouvelles, ce serait la curiosité. C’est l’état d’esprit qui anime les gens qui ont des idées nouvelles.

D’après mon expérience, l’indépendance d’esprit et la curiosité se prédisent parfaitement. Tous ceux que je connais qui ont l’esprit indépendant sont profondément curieux, et tous ceux que je connais qui ont l’esprit conventionnel ne le sont pas. Sauf, curieusement, les enfants. Tous les petits enfants sont curieux. Peut-être que la raison en est que même les esprits conventionnels doivent être curieux au début, afin d’apprendre quelles sont les conventions. Alors que les esprits indépendants sont les gloutons de la curiosité, qui continuent à manger même après avoir été rassasiés. [ 10 ]

Les trois composantes de l’indépendance d’esprit fonctionnent de concert : la minutie à propos de la vérité et la résistance à ce qu’on vous dise quoi penser laissent de l’espace dans votre cerveau, et la curiosité trouve de nouvelles idées pour le remplir.

Fait intéressant, les trois composantes peuvent se substituer les unes aux autres de la même manière que des muscles. Si vous êtes suffisamment pointilleux sur la vérité, vous n’avez pas besoin d’être aussi réticent à ce qu’on vous dise quoi penser, car la rigueur à elle seule créera des vides suffisants dans vos connaissances. Et l’un ou l’autre peut compenser la curiosité, car si vous créez suffisamment d’espace dans votre cerveau, votre malaise face au vide qui en résulte ajoutera de la force à votre curiosité. Ou la curiosité peut les compenser : si vous êtes suffisamment curieux, vous n’avez pas besoin de faire de la place dans votre cerveau, car les nouvelles idées que vous découvrirez repousseront les idées conventionnelles que vous avez acquises par défaut.

Parce que les composantes de l’indépendance d’esprit sont interchangeables, vous pouvez les avoir à des degrés divers et toujours obtenir le même résultat. Il n’y a donc pas qu’un seul modèle d’indépendance d’esprit. Certaines personnes à l’esprit indépendant sont ouvertement subversives, et d’autres sont discrètement curieuses. Cependant, ils ont tous quelque chose en commun.

Existe-t-il un moyen de cultiver la curiosité ? D’abord, il faut éviter les situations qui la suppriment. Dans quelle mesure le travail que vous faites actuellement éveille-t-il votre curiosité ? Si la réponse est « pas vraiment », il y a peut-être des choses à changer.

L’étape active la plus importante que vous puissiez prendre pour cultiver votre curiosité est sans doute de creuser les sujets qui vous intéressent. Peu d’adultes sont curieux d’absolument tout, et il semblerait que vous ne puissiez pas choisir les sujets qui vous intéressent. A vous donc de les découvrir si ce n’est déjà fait. Ou de les inventer, si nécessaire.

Une autre façon d’augmenter votre curiosité est de la satisfaire, en cherchant et apprenant des choses sur les sujets qui vous intéressent. La curiosité est différente de la plupart des autres appétits à cet égard : la satisfaire tend à l’amplifier plutôt qu’à l’assouvir et la calmer. Les questions mènent à encore plus de questions, et ainsi de suite.

La curiosité semble être plus individuelle que le souci de la vérité ou la résistance à se faire dire quoi penser. Ces deux dernières caractéristiques s’expriment de manière assez similaire chez celles et ceux qui les portent, alors que deux personnes peuvent être curieuses de choses foncièrement différentes. Alors peut-être que la curiosité est la notion centrale ici. Peut-être que si votre objectif est de découvrir de nouvelles idées, votre devise ne devrait pas être « fais ce que tu aimes » mais plutôt « fais ce qui t’intéresse ».

Notes

[ 1 ] Une conséquence pratique du fait que personne ne s’identifie comme ayant un esprit conventionnel est que vous pouvez dire ce que vous aimez à propos des personnes d’esprit conventionnel sans trop de problèmes. Quand j’ai écrit “Les quatre quadrants du conformisme”Je m’attendais à une tempête de rage de la part de l’esprit agressif et conventionnel, mais en fait, c’était assez silencieux. Ils ont senti qu’il y avait quelque chose dans l’essai qu’ils n’aimaient pas intensément, mais ils ont eu du mal à trouver un passage spécifique pour l’épingler.

[ 2 ] Quand je me demande à quoi ressemble ma vie au lycée, la réponse est Twitter. Ce n’est pas seulement plein de gens à l’esprit conventionnel, comme tout ce tout ce qui est de cette taille-là sera inévitablement, mais sujet à de violentes tempêtes d’esprit conventionnel qui me rappellent les descriptions de Jupiter. Mais même si ce fut probablement une perte nette de passer du temps là-bas, cela m’a au moins fait réfléchir davantage à la distinction entre l’esprit indépendant et l’esprit conventionnel, ce que je n’aurais probablement pas fait autrement.

[ 3 ] La diminution de l’indépendance d’esprit dans les startups en croissance est toujours un problème ouvert, mais il peut y avoir des solutions.

Les fondateurs peuvent retarder le problème en faisant un effort conscient uniquement pour embaucher des personnes indépendantes. Elles ont, bien sûr, aussi l’avantage accessoire d’avoir de meilleures idées.

Une autre solution possible consiste à créer des politiques qui perturbent d’une manière ou d’une autre la force du conformisme, tout comme les barres de contrôle ralentissent la réaction en chaîne dans un réacteur nucléaire, de sorte que les esprits conventionnels ne soient pas aussi dangereux. La séparation physique de Skunk Works de Lockheed a peut-être eu cela comme un avantage secondaire. Des exemples récents suggèrent que les forums d’entreprise comme Slack ne sont pas un bien absolu.

La solution la plus radicale serait d’augmenter les revenus sans développer l’entreprise. Vous pensez que l’embauche de cette personne junior en relations publiques sera bon marché, par rapport à un programmeur, mais quel sera l’effet sur le niveau moyen d’indépendance d’esprit dans votre entreprise ? (La croissance du personnel par rapport au corps enseignant semble avoir eu un effet similaire sur les universités.) Peut-être que la règle concernant l’externalisation du travail qui n’est pas votre « Core Business » devrait être complétée par une règle concernant l’externalisation du travail effectué par des personnes qui gâcheraient votre culture d’entreprise.

Certaines entreprises d’investissement semblent déjà capables d’augmenter leurs revenus sans augmenter le nombre d’employés. L’automatisation et l’articulation toujours croissante de la « stack technologique » suggèrent que cela pourrait un jour être possible pour les entreprises orientées produit.

[ 4 ] Il existe des modes intellectuelles dans tous les domaines, mais leur influence est variable. L’une des raisons pour lesquelles la politique, par exemple, a tendance à être ennuyeuse, c’est qu’elle leur est extrêmement soumise. Le seuil pour avoir des opinions sur la politique est beaucoup plus bas que celui pour avoir des opinions sur la théorie des ensembles. Ainsi, bien qu’il y ait certaines idées en politique, dans la pratique, elles ont tendance à être submergées par des vagues de mode intellectuelle.

[ 5 ] Les esprits conventionnels sont souvent dupés par la force de leurs opinions en leur faisant croire qu’ils sont indépendants d’esprit. Mais des convictions fortes ne sont pas un signe d’indépendance d’esprit. C’est plutôt le contraire.

[ 6 ] Le souci de la vérité n’implique pas qu’une personne à l’esprit indépendant ne sera pas malhonnête, mais qu’elle ne sera pas trompée. C’est un peu comme la définition d’un gentleman comme quelqu’un qui n’est jamais involontairement impoli.

[ 7 ] Vous le voyez surtout chez les extrémistes politiques. Ils se croient non-conformistes, mais en réalité ce sont des conformistes de niche. Leurs opinions peuvent être différentes de celles de la personne moyenne, mais elles sont souvent plus influencées par les opinions de leurs pairs que celles de la personne moyenne.

[ 8 ] Si nous élargissons le concept de minutie à propos de la vérité afin qu’il exclut la complaisance, la fausseté et la prétention ainsi que le mensonge au sens strict, notre modèle d’indépendance d’esprit peut s’étendre davantage dans les arts.

[ 9] Cette corrélation est cependant loin d’être parfaite. Gödel et Dirac ne semblent pas avoir été très forts dans le domaine de l’humour. Mais quelqu’un qui est à la fois “neurotypique” et sans humour est très susceptible d’avoir l’esprit conventionnel.

[ 10 ] Exception : les potins. Presque tout le monde est curieux au sujet des potins.

Merci à Trevor Blackwell, Paul Buchheit, Patrick Collison, Jessica Livingston, Robert Morris, Harj Taggar et Peter Thiel pour avoir lu les ébauches de ceci.

Auteur: Paul Graham Traduction: Anas EL KHALOUI

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